Énergie en commun

La recette des serres de figues de La Vallée du Moulin

La recette des serres de figues de La Vallée du Moulin

Dans les serres de La Vallée du Moulin, on cultive des figues, mais on testera aussi bientôt une technologie qui pourrait permettre d’avoir dans notre assiette encore plus de fruits et de légumes frais d’ici, peu importe la saison… et de réaliser, dans un avenir proche, notre rêve d’une plus grande autonomie alimentaire.

Chapitre 1

Pour une agriculture à l’épreuve des saisons

« C’est la jungle ! », s’exclame Serge Proulx, copropriétaire de La Vallée du Moulin, en se frayant un chemin dans la végétation luxuriante. Il soulève une grande feuille verte pour dévoiler les fruits qu’elle cache : des figues pas encore tout à fait mûres. Malgré la chaleur et l’humidité ambiantes, nous ne sommes pas dans une forêt tropicale, mais dans l’une des serres de La Vallée du Moulin, à Melbourne, en Estrie.

La famille Proulx compte parmi les producteurs en serre qui prennent part à une petite révolution dans le milieu de l’agriculture au Québec. En cherchant à faire pousser un fruit aussi exotique que les figues (et ce, malgré nos rudes hivers !), La Vallée du Moulin participe à un projet plus important encore : trouver la recette pour accroître l’autonomie alimentaire du Québec.

Un rêve auquel nous voulons contribuer, à Hydro-Québec. « La pandémie a mis le projecteur sur l’autonomie alimentaire du Québec, observe François Désautels, délégué commercial à Hydro-Québec. On voit que c’est un enjeu qui tient à cœur à la population. » C’est d’ailleurs l’un des principaux souhaits des Québécois et des Québécoises qui est ressorti de la consultation Énergie en commun.

Pour favoriser ce type d’agriculture, une nouvelle option tarifaire est accessible aux serristes depuis décembre 2020. « On a commencé à regarder ce qu’on pouvait faire de plus pour les aider. Notre énergie propre peut jouer un rôle pour les faire prospérer. » Et ce qui mijote dans les serres de La Vallée du Moulin pourrait être un ingrédient essentiel de la recette.


Serge Proulx, copropriétaire de La Vallée du Moulin.
François Désautels, délégué commercial à Hydro-Québec.
Chapitre 2

L’avantage de cultiver au Québec : la fraîcheur

Avant de se lancer dans la culture de figues, Serge Proulx avait un autre rêve, un rêve d’enfance celui-là : construire un moulin à eau. En 1998, il trouve l’emplacement idéal : un domaine de 225 acres à travers lequel serpente la rivière au Saumon. Cet ingénieur à la retraite va même jusqu’à y construire une microcentrale qui lui permet de produire une partie de son électricité.

Au fil du temps, ce rêve se transforme en projet familial qui rallie ses quatre enfants : Anne-Marie, Étienne, Marie-Michèle et Mylène. Il y a d’abord une érablière, puis des ruches, des poules et un verger, auxquels s’ajoutent des serres dans lesquelles poussent des framboises, des coings et des yuzus. « On expérimente ! », lance Anne-Marie. Si tout va bien, dans quelques années, La Vallée du Moulin pourrait même ouvrir ses portes au public.

Leur plus grande expérimentation demeure toutefois les figuiers, qui y sont cultivés depuis maintenant cinq ans. Un projet sur le point de porter fruit ! Pour la première fois cette année, La Vallée du Moulin pourra vendre ses figues bio ainsi que ses tartinades et sa pâte de figue. Au total, ce sont 18 variétés de ce fruit qui sont en culture, provenant d’environ 2 000 plants. Parmi elles, la Violette de Bordeaux et la Hardy Chicago, plus petite et plus sucrée, la préférée de Serge.

C’est en goûtant de savoureuses figues dans la région de la Bretagne, en France, qu’il a eu le déclic. « Contrairement à la banane, qui mûrit dans le transport, la figue est à son meilleur lorsqu’elle vient d’être cueillie, explique-t-il. Les figues importées mettent de deux à trois jours à arriver ici par train des États-Unis ou par avion d’Europe. » C’est pourquoi elles ne sont jamais aussi goûteuses arrivées ici que lorsqu’elles sont fraîchement cueillies !

La Vallée du Moulin produit son propre miel.
La Vallée du Moulin cultive aussi des pêches.
Les poules de La Vallée du Moulin.

La vie d’un figuier en chiffres

5 à 7 ansNombre d'années pour qu'un figuier soit à maturité

90 joursNombre de jours entre l'apparition des fruits et leur mûrissement

25 à 50 figuesNombre de fruits que produit un figuier de 3 ans

150 figuesNombre de fruits que produit un figuier à maturité

Chapitre 3

Un laboratoire à figues

« Ici, c’est le cerveau du site, indique Étienne en désignant un panneau de contrôle. Je peux me connecter à distance pour connaître la température, l’humidité, la luminosité... Dès qu’il se met à pleuvoir, les toits des serres se ferment automatiquement.»

Les serres de La Vallée du Moulin ne sont pas qu’intelligentes, elles sont aussi écologiques. Chauffées à partir de granules de biomasse forestière, des résidus de bois ramassés à même les forêts du Québec, elles sont dotées de murs et de planchers radiants. L’énergie solaire est aussi mise à profit ; même l’eau de pluie et la neige sont récupérées !

Les tables d’inondation récupèrent l’eau d’irrigation.

Dans la serre « recherche et développement », comme la surnomme Serge, les figuiers sont installés sur des tables d’inondation qui permettent de récupérer l’eau d’irrigation et l’engrais. « Ça évite le gaspillage », fait-il valoir. Ce qui lui vaut d’être taquiné par Anne-Marie. « C’est son obsession ! Quand on était jeunes, il nous disait tout le temps : « Ferme la porte, on ne chauffe pas le dehors ! »

Cette même obsession est à l’origine d’une autre expérimentation, et non la moindre : la déshumidification. Serge explique que les serres sont habituellement surchauffées et qu’on évacue l’humidité produite par les plants en ouvrant simplement les toits. « C’est environ 30 % de l’énergie qu’on envoie dans l’atmosphère », déplore-t-il.

Dans le souci de trouver une meilleure manière de faire, il a fait appel à Enerprox, une entreprise de Victoriaville, qui installera cet automne un système de gestion du climat alimenté à l’énergie propre dans sa serre. « Nos modules misent sur des thermopompes qui récupèrent la chaleur, indique Christian Poudrier, président d’Enerprox. Les performances énergétiques du système seront optimisées en temps réel grâce à nos algorithmes intelligents. »

Serre optimisée grâce à un système de gestion du climat alimenté à l’énergie propre

En fonction des données récoltées, ce système innovant permettra de créer un climat uniforme tout au long de l’année, ce qui contribuera à optimiser les rendements agronomiques. « Puisque toutes nos serres sont informatisées, on sera bientôt en mesure de comparer les deux approches. Si cette technologie est aussi performante qu’on le pense, on l’implantera dans nos autres serres », s’enthousiasme Serge.

Chapitre 4

L’humidité qui porte fruit

Lorsque François Désautels d’Hydro-Québec a entendu parler du projet pilote de La Vallée du Moulin, il a tout de suite compris l’intérêt de soutenir cette expérimentation.

« Nos chercheurs du Laboratoire des technologies de l’énergie avaient répertorié plusieurs technologies permettant de rendre les serres plus efficientes, et la déshumidification était l’une d’elles», explique-t-il.

C’est pourquoi Hydro-Québec a contribué à ce projet grâce au programme en efficacité énergétique Solutions efficaces. Un merveilleux coup de pouce pour l’innovation en milieu serricole ! Il faut dire que l’humidité est particulièrement difficile à contrôler dans les serres. « C’est le nerf de la guerre ! Elle varie constamment en fonction du jour et de la nuit, ou d’autres paramètres, comme un simple nuage qui cache le soleil », illustre-t-il. C’est aussi un élément essentiel pour qu’un plant puisse produire des fruits.

À La Vallée du Moulin, on a d’ailleurs remarqué à quel point le taux d’humidité des serres avait un impact sur la production. « L’an dernier, des figuiers qui étaient pourtant bien irrigués et fertilisés ont perdu leurs fruits. Ils n'étaient pas heureux », observe Anne-Marie. Si une serre est trop humide, les plants deviennent moins productifs. Au contraire, s’il n’y a pas assez d’humidité, ils sont stressés et mettent toute leur énergie à se protéger, quitte à abandonner leurs fruits.

La technologie employée dans les serres.

Au cours des prochains mois, La Vallée du Moulin mettra à profit ces outils technologiques afin de trouver le taux d’humidité optimal pour faire fructifier ses figuiers. « Il y a encore beaucoup d’inconnus dans l’équation, convient Serge. Mais si on arrive à reproduire les conditions idéales pour nos plants, il sera sans doute possible d’augmenter notre production. » Une possibilité qui fait rêver.

Un bon terreau pour l’avenir

Un bon terreau pour l’avenir

Les chercheurs du Laboratoire des technologies de l’énergie d’Hydro-Québec ont bon espoir que le système de déshumidification testé à La Vallée du Moulin sera efficace. Ils seront présents tout au long du projet pour prendre des mesures et voir comment cette innovation pourrait s’appliquer à d’autres cultures en serres du Québec, comme les tomates par exemple. En plus de préserver notre précieuse énergie, elle pourrait permettre de produire ici, sur notre territoire, encore plus de fruits et de légumes frais, peu importe la saison. Mais, surtout, d’avoir le plaisir de les savourer lorsqu’ils sont à leur meilleur !